Dakar 2003 : Newsletter 3

Sat 05 April 2008

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Newsletter 3. Lundi 7 juillet au lundi 14 juillet 2003.

Les formations ont débuté dans les deux centres.

A Hann Bel-Air, Mathieu anime la formation. Cours littéral, un écran de Pc accolé au tableau monté au sommet d'une unité centrale, en équilibre sur une table. Les "élèves" sont disposés en rangés de quatre ou cinq. Une craie dans la main gauche, une souris dans la droite. Bertrand et Guillaume, plus en retraits, circulent entre les rangs pour encadrer chacun des élèves. A Fass Delorme, les futurs formateurs des centres de Parcelles et de Fass sont regroupés. L'équipe adopte un enseignement de "proximité". Romain, Jean, Nicolas (Papa) et Jérémie se sont partagé les élèves en groupes de deux ou trois, selon les niveaux. Madame Sylla compte sur “ la concurrence ” entre les deux centres pour dynamiser les formateurs. La rénovation du troisième local des Parcelles Assainies est terminée, les étudiants pourront occuper les locaux dès le lundi 14 juillet pour installer le matériel.
Les étudiants se font à Dakar. Les habitants de ses quartiers se font aux douze toubabs qu'ils voient passer chaque jour. Les orages éclatent toujours aux soirs, la chaleur est toujours énorme, les personnes que l'on croise, que l'on rencontre, le temps d'un repas, d'une conversation, sont toujours les mêmes, un sourire, des partages, des tapes sur l'épaule, des "faites comme chez vous, revenez quand vous voulez..." Léguilégui.
La fin de semaine fut marquée par la visite de Thibaud et de Madame Sylla dans les bureaux du Ministre du Développement Social. Comme promis lors de la cérémonie de lancement, elle a remis une enveloppe de 1 million de FCFA. Elle a affirmé son soutien à Bokk Jang et souhaite que l'association élargisse son action en intégrant comme autre “ cible ” prioritaire les handicapés. Elle a vivement remercié et encouragé l'association Afric'Edu pour son implication dans le projet.
Isabelle, dernière membre d'Afric'Edu parvenue à Dakar, a rejoint l'équipe. Quelques grammes de féminité dans un monde de chambres mal rangées, de crasse et de mauvaises odeurs. En stage avec Thibaud, l'année dernière à Dakar, ils avaient tous les deux rencontré Madame Sylla et évoqué les prémisses d'un partenariat. Le soir de son arrivé fut l'occasion d'ouvrir le Livre d'Or de l'association Bokk Jang et d'y relire quelques phrases écrites il y a un an, le 31 juillet 2002.

“ Nous sommes vraiment très motivés pour ce projet et nous souhaitons de tout notre coeur tenir notre engagement. C'est un formidable espoir !
Comme vous le dites si bien,
Inch Allah ! ”
Inch Allah...

L'inauguration du 5 juillet s'est fait en présence de quelques journalistes locaux. Un article fut publié dans le Soleil, quotidien national, parut le mardi 8 juillet 2003.
Le lancement a également été couvert par le quotidien privé “Le Témoin ” dans un article publié le dimanche 6 juillet.

Hann Bel-Air ou le “silence” d'une cours d'école.

Mathieu, posté au tableau, anime le cours. Face à lui, neufs futurs formateurs dont huit filles disposées en lignes sur trois rangs de bureaux. L'ambiance est studieuse, certains prennent des notes. Guillaume et Bertrand circulent entre les rangs, se penchent par-dessus les épaules, répondent aux questions, accompagnent les mains sur les souris. Le professeur débute son cours, sa voix porte. “ Le répertoire que vous venez de créer, on va faire une première chose?", il interrompt."ah, ce n'est pas fait." Cinq à dix minutes s'écoulent. “ Bon maintenant le fichier que vous venez de créer avec votre nom, on va d'abord essayer de le copier ailleurs. Vous cliquez une seule fois dessus pour qu'il soit une seule fois en bleu. ” Explications. De longues minutes s'écoulent. Le bruit des touches qui s'enfoncent, les clics répétitifs de la souris, les affalés des fonds de classe appellent le formateur d'un claquement de doigt. Entre temps, Guillaume reste en retrait et s'acharne patiemment à expliquer comment se déplacer avec une souris. “ Il ne faut pas avoir peur de bien tenir sa souris. Tu ne vas pas la casser !Tu as appuyé sur quel bouton là ?” Il est rouge, il fait chaud, il sue. Il sourit un brin crispé.
Les niveaux sont disparates. Si certaines n'ont jamais touché un ordinateur, d'autres possèdent quelques bases. Elles sont secrétaires, directrices, d'anciennes étudiantes.
“ Elles utilisent des ordinateurs tous les jours, m'explique Mathieu à la pause, mais elles résonnent selon des rails. Elles font tout le temps la même chose. Ce sont des automatismes. Une fois sorties de ces trames, elles sont complètement perdues. J'essaye de leur faire comprendre le fonctionnement global, un raisonnement. Essayer qu'elles acquièrent une autonomie vis à vis des logiciels. Travailler en automatismes ne résout rien. Il faut cerner le schéma global et acquérir des réflexes adaptables à tout type de logiciels. Il faut qu'elles comprennent ce qu'elles font et qu'elles puissent se débrouiller seules.”
Au bout trois heures, Guillaume sort. Passe sa main dans les cheveux une bonne centaine de fois ? “Mes impressions ? Il ne vaut mieux pas que je te les donne mes impressions?." Il se jette à nouveau à l'intérieur. Bertrand débat toujours avec Monsieur Fall, Directeur de l'ORT, ONG qui héberge le centre. Une lutte de plusieurs heures et de plusieurs réunions afin d'obtenir un devis pour la réhabilitation des installations électriques. Monsieur Fall est un homme à palabres.
Il arrive que des chèvres piétinent le gravier, s'attardent un instant curieuses entre les jeux pour enfants. Dans le silence d'une cours d'école désertée pour les vacances, elles dénotent avec le paysage. En fond, la rue et ses habitudes bancales et bruyantes, son bruit, ses camions qui font friser les murs. Toujours.

Fass Delorme, bruissements de ventilateurs et coupures de courant.

Les pièces de Fass Delorme regroupent les six formateurs du centre et les six autres du quartier des Parcelles Assainies. Douze personnes au total disposées en rectangle, le dos des écrans accolés aux murs. Dès neuf heures, les ventilateurs tournent déjà bruyants, l'atmosphère est suffocante, la climatisation, actuellement en réparation, laisse un creux béant dans le mur. Et ces fissures qui courent et écaillent la peinture.
“ Tu vois, il faut double cliquer très rapidement. Vous commencez à lire le poly? ”. Nicolas Ortiou dit Papa Malick a parlé. A droite. “ C'est bon, ajoute Jean, vous lisez bien les cours ”. A moins de vingt centimètres, Romain. “ Tu vas aller voir dans mes documents? ”. Droite, gauche, tout autour, au milieu, les étudiants encadrent deux à trois formateurs chacun. L'ambiance est conviviale, studieuse, quelques murmures de Wolof.
Deux coupures de courant sont intervenues les deux premiers jours de formation. Les étudiants démontent alors quelques machines et expliquent en cercle le fonctionnement du “ HARD ”. Disque dur, carte mère, fiche. Papa Malick prend une craie, s'installe devant un tableau noir vétuste et grinçant. Quelques dessins à la craie pour schématiser un réseau. L'assemblée en cercle, les bouches fermée, les yeux ouverts suivent attentifs. Jolis schémas Papa, jolis schémas !
“ Le plus dur est d'expliquer les choses qui sont devenues naturelles pour nous. Copier/ Coller et même aller chercher des fichiers, cela parait logique, tu n'as pas besoin d'expliquer. Il faut aller le chercher là où tu l'as enregistré. Mais c'est toute une démarche qui est difficile, il faut manipuler. C'est quelque chose qui est difficile à inculquer.” m'explique Thibaud. La complexité du décalage entre les attentes d'Afric'Edu et la réalité concrète oblige les étudiants à revenir un peu sur leurs objectifs de départ. “ Cela va au-delà de lacunes informatiques, ce sont des lacunes scolaires.”
Les étudiants adaptent leurs cours et reconnaissent que dans les personnes sélectionnées, certaines ne seront pas “formateurs”. “ Le problème est que toi tu veux directement aller aux choses qui te semblent compliquer à comprendre. Il faut revenir à la base, des trucs sur lesquels tu n'avais pas prévu de passer du temps. Mettre ton curseur au bon endroit, sauter une ligne, ce genre de chose. ” conclu Romain.

Directrice, Couturière, anciens étudiants aujourd'hui sans profession

La plupart des futurs formateurs possèdent un faible niveau d'études. En moyenne âgées entre vingt et trente ans, elles ont arrêté en seconde, première ou terminale. Elles sont couturières, coiffeuse ou sans emploie. Lors de la sélection des formateurs, les étudiants ont lourdement insisté sur les motivations. Il ne s'agit pas de bénéficier de la formation puis de quitter ensuite les centres. Les formateurs ont l'obligation de rester dans les centres pendant un an afin de transmettre leur enseignement à d'autres jeunes. Ici, les formations privées coûtent excessivement chère, tout le monde n'y a donc pas accès, en faciliter l'accès à des jeunes issus de quartiers défavorisés constitue une véritable opportunité.

Bien que le gouvernement Sénégalais investisse un tiers de son budget dans l’éducation, le niveau de scolarisation demeure faible. 55,7% dans le primaire, 16% dans le secondaire et 3% dans le supérieure. Sur une population d’environ neuf millions neuf cent milles habitants, le taux d’analphabétisme est de 2,4 millions dont 1,5 millions sont des femmes.

Photographie Grand-angle

Un Taxi humide pour Dakar...

L'ensemble des étudiants patiente devant le centre des Parcelles Assainies. Il n'est pas loin de seize heures, le ciel pèse lourd. Quelques premières gouttes puis l'orage éclate. Les t-shirts mouillés de sueurs deviennent rapidement gorgés de pluie.

Lors de ces orages d'été, les rues de Dakar sont des flaques puis des fleuves. La pluie bat les pare-brise, rythme les taules, déplace par vagues les détritus, inonde les cours et fait tomber la terre des toits. Dakar s'arrête, s'immobilise, ne laissant vivre que sa circulation décidément imperturbable. Le paysage devient chaotique. Le vent fait voler les papiers en de vastes tourbillons. Des étincelles éclatent de certains pylônes électriques. Les passifs des bords de route se rangent à l'abri et regardent tomber la pluie. Il n'y a que des toubabs pour courir. Oui, il n'y a que cinq toubabs pour courir et faire marrer les sénégalais penchés à leurs fenêtres.
Thibaud, Isabelle, Mathieu et moi, nous engouffrons dans un taxi. Un rideau de flotte s'abat violent sur la voiture alors que les visages terminent sommairement de s'essuyer. Monter dans un taxi Dakarois, c'est comme prendre l'avion. Pour être tranquille, se rassurer, il s'agit d'admettre que quoi qu'il arrive, on ne peut rien faire. Il faut accepter son impuissance, sinon les trajets sont invivables. Les taxis, jaunes et noirs, les officiels, tremblent, grincent, cognent mais roulent. Leurs carrosseries sont écorchées de parts et d'autres, les capots enfoncés, les pare-brise fissurés et ne tiennent qu'à un rétro viseur curieusement orienté. Certains n'ont pas de freins et terminent leurs courses en rétrogradant, s'aidant d'un trottoir pour s'immobiliser. Etre un taxi à Dakar, c'est se faufiler sans cesse, dépasser par la gauche, transformer une deux voies en quatre (Six, si le chauffeur est en forme), le tout avec une habilité impressionnante.
Le nôtre, malgré les "conditions climatiques", ne ralenti pas sa vitesse. Le taxi trace son sillage, ses pneus créent des déferlantes. L'ensemble de la circulation fait la houle. Des gerbes aspergent les passants passifs, qui râlent et improvisent des gestuelles. De la fenêtre du taxi, la route est un océan de boue vu du ciel. La pluie cogne, résonne. Elle est métallique, solide. L'eau ruisselle, abonde mais ne s'écoule pas. Le taxi gagne l'autoroute, les vitres se couvrent de buée. A l'arrière, la visibilité est nulle, nous en déduisons, par un habile raisonnement, que le chauffeur doit être confronté à un problème similaire. Dans la voiture, les visages se crispent un brin. Plus personne ne parle. Il freine brusquement, glisse sur un mètre et s'immobilise à vingt centimètres de la voiture de devant. L'inquiétude s'installe oscillant entre le silence et les rires nerveux.
Entre deux plaques de buée, nous distinguons vaguement les couleurs. Qu'importe, il ré-accèlère, se faufile. Isabelle regarde effarée. "Mais il ne voit rien là..." Les phrases sont peu nombreuses. "Tenez, un mouchoir..." propose Mathieu insistant. "Attendez, bougez pas, je vais le faire. Voilà, vous verrez mieux et... ça me rassure..." Thibaud chope mon micro. "Je demande pardon à tout le monde, ma famille mes amis..." Éclats de rires nerveux suivis de longs silences. Des accoups, des coups de frein, des relances, des glissades. Certes, à l’avant la vision est nulle mais il y a le paramètre arrière auquel nous n'avions pas songé. Sur le côté nous apercevons la route, les voitures qui se suivent étroitement et l'eau qui engorge les trottoirs, déferle sous les châssis. Le chauffeur se range sous un pont, sur le bas côté, manquant d'écraser les pieds d'une dizaine de personnes abrités. Nous mettons un certain temps à réaliser qu'il vient de crever. Il ne manquait que ça. Il sort de la voiture, ouvre son coffre et commence à changer la roue. Imperturbable, non paniqué. Nous descendons. Il a de l'eau jusqu'aux chevilles, les voitures circulent à moins de dix centimètres de son dos incliné. Il se fait éclabousser de tous côtés. Il change sa roue, pataugeant sans un mot. Les torrents s'écoulent des murets, impressionnants. Dix minutes plus tard, nous repartons, l'air de rien.
Nous parvenons à rentrer sains et saufs et humides. Ici, les orages durent à peine une heure mais quelle heure...

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